Pendant des années, ces hommes ont travaillé au fond des mines pour récupérer l'or noir. Dans des conditions difficiles et au détriment de leur santé, ils ont multiplié les heures de labeur dans les profondeurs du sol mosellan pour extraire du charbon.

Ils s'appellent Marcel, Mohammed, Angelo, Jean-Claude, Michel, Guy, Rémy et Aloyse. Et ils ont accepté de poser devant l'objectif du photojournaliste Robin Jafflin pour raconter leur combat.

Ces photographies ont été prises dans le cadre d'une collaboration entre Le Républicain Lorrain, Le Livre à Metz et la Direction régionale des Affaires culturelles Grand Est. Robin Jafflin, de l’association "Parole de photographes", a été sollicité pour réaliser une enquête en lien avec "Héroïques !", le thème 2020 du festival messin. Mais aussi pour aller à la rencontre d'une classe et échanger avec les élèves sur les médias et le travail journalistique.

En résidence en Moselle-Est, au collège Rabelais de L’Hôpital, le journaliste dijonnais a choisi de travailler sur les conséquences de l'exploitation houillère en Moselle. Portraits, bâtiments abandonnés, paysages marqués par les mines... Il a intitulé sa série de photos "Souffles noirs" pour faire écho à une cruelle réalité : les maladies pulmonaires qui font des ravages chez les anciens mineurs.

Les marques du passé minier

A quelques dizaines de mètres de l'ancien puits Sainte-Fontaine, à Saint-Avold, les rails qui acheminaient jadis le charbon sont encore présents. Si le poste d'aiguillage est en très mauvais état, les trains de marchandises continuent de passer en direction de l'Allemagne.

Le passé minier se rappelle indubitablement aux habitants du coin. Des traces presque indélébiles, dans une région qui a un temps prospéré grâce à l'or noir.

Au milieu des sept mines du bassin de Saint-Avold, trône également une montagne noire de 100 mètres de haut : le terril. Ci-gît 16 millions de mètres cubes de déchets miniers. C'est ce que l'on appelle le crassier. Exploité depuis 1976 pour son schiste, qui sert notamment au terrassement, le terril devrait être encore là pour 30 - 50 ans.

Des vies humaines ravagées

Si le sol mosellan est encore profondément marqué par les conséquences de l'exploitation houillère, les âmes et les corps humains le sont aussi. Certaines gueules noires dénoncent les ravages de ce travail effectué au fond des mines.

Marcel a 71 ans. Pendant 20 ans, il travaille au puits Reumaux de Freyming-Merlebach. Rentré aux HBL (Houillères du Bassin de Lorraine), comme beaucoup via des membres de sa famille qui en étaient employés, il bénéficie du congé charbonnier en 2000. Délégué syndical à cette période, Marcel milite toujours à la CFDT pour la reconnaissance des maladies liées au travail dans les mines. Il souffre de problèmes de peau dues aux échappements des machines diesel, de broncho-pneumopathie chronique obstructive (en cours de reconnaissance), et de fibrose pulmonaire due à l'amiante.

Le Mosellan décrit le manque d'entretien des galeries, parfois mal étayées, et la peur constante de l'éboulement ou du coup de grisou.

"Sur certains chantiers, on allait bosser la peur au ventre."

"Si c'était à refaire, connaissant aujourd'hui les conséquences et les conditions de travail, je n'y retournerais pas."

Pendant 27 ans, Aloyse a été conducteur de locomotive au fond de la mine. Chargé de transporter le charbon, le matériel ou les hommes entre "le front" et les points de sortie de chaque niveau, le quinquagénaire n'a pas forcément été très exposé aux poussières. Mais il a développé, depuis 2006 et sa retraite minière, plusieurs cancers et des plaques pleurales provoquées par l'amiante. Il ne lui reste ainsi plus qu'un rein, qui commence à être atteint à son tour.

Ces cancers, Aloyse les explique par les nombreuses huiles, lubrifiants utilisés pour faire fonctionner le matériel et sa locomotive diesel dans des conditions extrêmes.

Entre 2000 et 2006, le Mosellan participe au démantèlement des mines. Il le reconnaît sans détour : "Oui nous avons laissé des tonnes de matériel, de produits corrosifs plus cancérigènes les uns que les autres au fond."

"Ce qu'on nous a demandé de laisser à plusieurs centaines de mètres sous terre, c'est une véritable bombe à retardement pour les générations futures."

Maintenant retraité, Aloyse gère, avec quelques autres bénévoles de la CFDT Mines de Freyming-Merlebach, les dossiers de demandes de reconnaissance de maladies professionnelles de ses collègues. Pour cette photographie, l'ancien mineur pose devant une partie de ces dossiers entreposés dans son bureau. Au total, ce sont plus de trois pièces qui en sont tapissées dans les locaux du syndicat.

Arrivé en 1974 du Maroc, Mohammed est de ces hommes "importés" par l'état français et Félix Mora, militaire devenu recruteur pour les Charbonnages de France, jusqu'à la fin des années 90. Pendant 26 ans et 8 mois, le Marocain originaire de Foum Zguid est mineur de fond au puits Vouters de Freyming-Merlebach. Il devait au départ rester seulement six mois.

Sous payés, sans droit de grève pendant plusieurs années, les mineurs marocains doivent payer leur recrutement (visite médical, voyage etc...) via une retenue sur salaire de 500F pendant un an. Mohammed affirme qu'il existait une différence de traitement entre les travailleurs immigrés et les autres.

A partir de 1980 et le mouvement de grève des mineurs marocains, ces travailleurs obtiennent les mêmes droits que leurs collègues français. Aujourd'hui, Mohammed souffre de bronchite chronique et de plaques pleurales dues à l'amiante.

Guy entre aux HBL à 14 ans. Il y passe ensuite 30 ans de sa vie professionnelle. D'abord "au fond" puis "au jour" à cause d'un accident du travail. "Je n'ai jamais aimé le fond", raconte-t-il. A la surface, Guy fait un peu de tout : phosphatation des équipements contre la rouille, mécanique... Au moment d'évoquer les produits utilisés, l'ancien mineur liste ses collègues décédés. "Au moins 50% de mes collègues sont morts, certains à peine un an après la retraite."

"Certains sont morts en activité, à même pas 45 ans, de maladies pulmonaires, de cancers, à cause de tous les produits toxiques qu'on a utilisés."

Guy est atteint de fibrose pulmonaire, de plaques pleurales et de broncho-pneumopathie chronique obstructive, mais la caisse d'assurance maladie des mineurs ne reconnaît pas ses maladies professionnelles malgré le diagnostique de plusieurs spécialistes. A cela s'ajoutent de nombreuses séquelles physiques et articulaires dues à ses accidents de travail et au labeur entrepris dans les profondeurs du sol mosellan.

Délégué mineur à l'époque, le Mosellan est militant CFDT depuis 25 ans. De permanence deux jours par semaine, il aide les anciens mineurs à gérer leurs tâches administratives : de la demande d'indemnisation, au suivi de pension en passant par le conseil aux veuves.

Passé par l'école des Mines, Michel commence jeune à travailler comme mineur. Il est affecté au traçage puis à la taille du charbon à partir de 1983 au puits Wendel à Petite-Rosselle et à celui de la Houve à Creutzwald. Reclassé à la cokerie de Carling, il part à la retraite au début des années 2000. Michel s'investit depuis dans un club de boxe française pour continuer à avoir une vie sociale et "voir du monde".

Pour lui, les équipements de protection n'étaient pas suffisants. "On avait de simples masques en papier. Evidemment, en 5 min ils étaient saturés."

"Tout ce qui comptait c'était le rendement".

Cette course à la productivité entraîne des erreurs, des accidents, parfois mortels. Lui-même a eu plusieurs fractures et un accident grave au fond de la mine. Alors qu'il redresse une pile, qui sert à soutenir la galerie, la machine sous pression qu'il utilise se bloque et lui revient subitement dessus. Il est projeté au sol et a juste le temps de prévenir ses collègues avant de perdre connaissance. Il souffre alors de multiples fractures : "Mon corps était bleu", se souvient-il. Aujourd'hui, Michel souffre de silicose et de tâches pleurales dues à l'amiante. "Ne serait-ce que pour les soins, il n'y a pas de reconnaissance des mineurs. Ils doivent se débrouiller, c'est vraiment injuste", regrette sa femme.

Jean-Claude a passé 28 ans, à partir de 1973, au fond du puits Vouters de Freyming-Merlebach. Le Mosellan a eu tous les postes : du travail de nuit en passant par les chantiers en semi-dressants, il regrette aujourd'hui cette camaraderie qu'il a connue plusieurs mètres sous terre. Un temps "boutefeu" (artificier), Jean-Claude en garde une oreille soufflée par une explosion. Il souffre aussi de maladies pulmonaires causées par les poussières d'extraction, les fumées de tir et/ou l'amiante : silicose, kystes dans les poumons, emphysèmes ...

"On avait aucune protection contre les fumées acides des explosifs. Après chaque tir, ça piquait mais qu'est-ce qu'on y pouvait ?"

En dehors de la silicose, aucune de ses pathologies n'a été reconnue comme une maladie professionnelle.

Né d'un père italien mineur et d'une mère allemande, Angelo a passé 30 ans à travailler au fond de la mine, de 1974 à 2004. D'abord affecté au traçage au puits Reumaux de Freyming-Merlebach pour l'exploration de nouvelles veines de charbon, il finit sa carrière à la taille, c'est-à-dire à l'extraction de l'or noir.

Depuis 2004, Angelo est reconnu comme malade de la silicose à hauteur de 10%, ce qui lui donne le droit à une indemnité trimestrielle. Toutefois, il regrette que sa maladie ne soit pas reconnue à sa juste valeur :

"Après les deux demandes de réévaluation, c'est fini, on n'a pas le droit à plus."

Pour éviter de continuer à "être dégoûté", l'ancien mineur préfère ne plus rien faire constater. Son taux réel de silicose est estimé à 40%.

Mineur de fond pendant 20 ans au puits Vouters de Freyming-Merlebach, Rémy débute sa carrière un mois avant que 16 hommes ne perdent la vie dans ce lieu en septembre 1976.

Retraité des houillères depuis 1996, le sexagénaire souffre de multiples pathologies liées au travail effectué au fond de la mine : déformation de la cage thoracique, bronchite chronique, plaques pleurales, fibrose pulmonaire due à l'amiante ... Cette dernière, il l'avoue à l'écart, pudique :

"On vient de la découvrir, je n'ai pas envie d'en parler tout de suite aux copains. On a tous assez de problèmes comme ça."

A ce jour, les médecins des Houillères ne lui ont reconnu aucune maladie professionnelle malgré plusieurs contre-expertises. Pourtant, dix mois seulement après sa prise de fonction, les premières difficultés pulmonaires apparaissaient déjà. Des problèmes liés à une exposition trop importante aux mousses expansives utilisées pour combler les crevasses dans les galeries.

Exploités entre 1907 et 1997 entre Stiring-Wendel et Forbach, les puits Simon font partie des plus importantes exploitations des Houillères du Bassin de Lorraine. Des puits à la direction, en passant par la cantine et les bâtiments annexes, l'ensemble est aujourd'hui à l'abandon et constitue l'une des nombreuses friches industrielles de la région.

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L’image contre les clichés

En résidence à L'Hôpital, le Dijonnais Robin Jafflin, jeune photographe freelance de 21 ans, est donc parti à la découverte de cette architecture, des mineurs et d'une histoire. Il a également rencontré des collégiens pour compléter cette résidence. Coup de foudre réciproque...

Photo DR/Martin LAGARDERE

Photo DR/Martin LAGARDERE

Cette résidence en Moselle-Est, était-ce un voyage en terre inconnue pour vous ?

"Non, car j’ai vécu une partie de mon enfance en Alsace non loin des mines de potasse. Je connaissais déjà le dur métier des mineurs et les traces que laisse une telle exploitation sur l’environnement. Pourtant, en prenant la sortie de l’autoroute vers L’Hôpital, je dois concéder que j’ai été surpris de ce premier contact géographique entre la centrale à charbon et le site pétrochimique."

Vous étiez tout de suite dans le bain en somme…

"Oui, et cette odeur si particulière qui vous assaille, ça peut être surprenant et perturbant. L’architecture aussi est étonnante avec ces cités et cette organisation du territoire si atypique. C’est ce qui fait la particularité de 'Spitell' et c’est ce qui donne aussi ce caractère unique aux personnes qui y vivent."

La générosité de l’accueil dans les cités minières et industrieuses : info ou intox ?

"Non, j’ai pu vérifier ce que je pressentais : une fois la glace brisée, les habitants sont très chaleureux et font tout pour vous rendre service.

Ce sens de l’accueil je l’ai aussi ressenti avec les élèves de 4e et de 3e qui ont participé aux premières semaines du projet, malheureusement interrompu par le confinement."

Avez-vous senti les élèves réceptifs à la lutte contre les fausses informations ?

"Oui, j’ai trouvé des collégiens volontaires et prêts à s’investir pour faire le tri entre les fake news, le véritable travail d’information et le développement du sens critique. Je l’ai senti notamment dans la recherche de sujets et lors des récits des élèves. J’ai aussi compris que ces adolescents voulaient montrer leur valeur et qu’ils se sentaient capables de s’impliquer dans un travail journalistique ou artistique. Ils étaient très demandeurs, et sur certains domaines leur angle de vue m’a clairement impressionné. A leur contact, je dois dire que j’ai beaucoup appris aussi."

Eveiller les consciences est important pour vous : est-ce pour cela que vous avez voulu "réveiller" le passé minier ?

"Oui, j’étais déjà sensible aux histoires de mines et de mineurs. Avec 'Souffles noirs' j’ai voulu souligner que des hommes souffraient encore bien longtemps après la fermeture des exploitations. Les hommes souffrent et l’architecture aussi est marquée à jamais par ce passé industriel. Dans certaines ruines, j’ai trouvé des classeurs encore intacts avec la liste du personnel ou des bons de commandes à même le sol. C’est comme si le temps s’était arrêté d’un coup après une catastrophe.

Tout cela m’a incroyablement impressionné et je garderai longtemps dans la rétine les images du crassier, de la carrière et ces strates géologiques qui témoignent du bras de fer entre l’homme et la nature."

Aux côtés de ces portraits d'hommes abîmés par leur métier, le photographe Robin Jafflin a donc capturé les lieux qui ont été le théâtre des rêves et des cauchemars de nombreux mineurs. Là où leurs souffles sont devenus noirs. Comme ici, au puits Cuvelette de Freyming-Merlebach, ou encore au puits Sainte-Fontaine de Saint-Avold.

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Dans le cadre de ce partenariat entre Le Républicain Lorrain, Le Livre à Metz et la Direction régionale des Affaires culturelles Grand Est, des lycéens ont également été invités à écrire sur le thème "Héros et héroïnes".

Le prix des journalistes a été décerné au texte "Le sourire d'Abdallah" écrit par les élèves de 2MO-MV1 du lycée André-Citroën à Marly, sur une idée de Benjamin Amann.

Les autres textes :

Annulé en mars et reporté du 6 au 8 novembre, le festival du Livre à Metz passe en version numérique. Durant ces trois jours, il proposera au public de se retrouver à heure fixe pour écouter des auteurs parler d’héroïsme, en direct ou en différé. Découvrez le programme.

Reportage : Robin JAFFLIN

Interview : Michel KLEKOWICKI

Montage : Emeline PIUCCO