IL Y A CENT ANS
Le choix du
Soldat Inconnu
Le Soldat Inconnu français, inhumé sous l’Arc de Triomphe à Paris, est l’un des symboles forts de la République française. Celui de la communion de la Nation autour des soldats morts pour elle au cours de l’Histoire.
Mais avant qu’il ne repose définitivement Place de l’Etoile, l’idée a dû se frayer un chemin difficile pour finalement être acceptée. De l’idée à sa concrétisation, il aura fallu attendre toute la Grande Guerre et même quelques années de plus.
Que faire ?
Les prémices
La Grande Guerre est à peine déclarée qu’elle broie déjà les corps des soldats engagés dans le combat. L’horreur de la guerre saute aux yeux de la troupe mais aussi des familles et de la population française. La Bataille des frontières en août 1914 en est l’exemple : avec 27.000 soldats balayés par la mitraille en une journée, le 22 août 1914 restera le jour le plus meurtrier non seulement de l’histoire de la Première Guerre mondiale, mais aussi de toute l’Histoire de France.
Que faire devant un tel carnage ? Le 2 juillet 1915, la loi française instaure la mention « Mort pour la France ». Un statut individuel des soldats morts au combat est alors octroyé pour la première fois.
Mais devant l’enlisement des combats, les morts toujours plus nombreux et l’emblématique bataille de Verdun qui pulvérise, en 300 jours et 300 nuits, 300.000 combattants dont plus de 160.000 Français, une voix s’élève le 26 novembre 1916.
François Simon, président de la section de Rennes du Souvenir Français, est le premier à proposer de transférer au Panthéon « l’un des combattants ignorés et morts bravement ». Son discours au cimetière de l’Est dans la ville bretonne est resté célèbre.
Puis le temps passe, l’armistice du 11 novembre 1918 est signé. Une semaine après, le 19 novembre, c’est Maurice Maunoury, député d’Eure-et-Loir, qui fait entendre sa voix. Il propose une loi afin de faire inhumer au Panthéon « un déshérité de la mort ».
Soldat Inconnu versus cœur
de Gambetta
Cependant, deux projets s’affrontent : la Chambre des députés penche pour le Soldat Inconnu et le Gouvernement pour la translation du cœur de Léon Gambetta au Panthéon, afin de fêter dignement, en 1920, le cinquantième anniversaire de la IIIe République. Gambetta qui, le 4 septembre 1871, fut l’un de ceux qui proclamèrent la République au lendemain de la chute de Napoléon III et du Second Empire. Un symbole que celui qui fut ministre de l’Intérieur du Gouvernement de la Défense nationale. Un républicain acharné, mort en 1882 et dont plusieurs parties du corps embaumé furent conservées comme reliques. Son cœur, enchâssé dans un morceau de sapin des Vosges, était prêt à être inhumé dans le Temple des Grands Hommes. Une dilaceratio corporis républicaine en quelque sorte, l’inhumation du cœur en un lieu et du corps en un autre étant réservée jusqu’à présent aux monarques d’Ancien Régime.
Au Panthéon
ou à l’Arc
de Triomphe ?
Il faut donc attendre le 12 septembre 1919 pour que la Chambre des députés adopte l’idée d’inhumer ce soldat au Panthéon… Mais les anciens combattants de 14, eux, préférait une cérémonie à l’Arc de Triomphe.
Les choses se précisent… une année plus tard. Le 3 novembre 1920, André Maginot, ministre des Pensions, ancien combattant et grièvement blessé au combat, donne ses directives pour « faire exhumer (…) le corps d’un soldat identifié comme français mais dont l’identité personnelle n’aura pu être établie ».
Le front de la Grande Guerre est alors divisé en neuf secteurs où les combats ont été les plus violents : Flandres, Artois, Somme, Marne, Chemin des Dames, Champagne, Verdun, Lorraine et Alsace. Neuf corps sont exhumés. Huit seront retenus. Pour celui venant d’Alsace, subsistait un doute quant à la nationalité.
Ce n’est que le 8 novembre 1920, qu’une loi votée à la Chambre entérine l’inhumation d’un Soldat Inconnu sous l’Arc de Triomphe et le transfert du cœur de Gambetta au Panthéon.
L’heure du choix
Le lendemain, 9 novembre 1920, les huit cercueils de chêne sont acheminés dans la salle des fêtes de la Citadelle souterraine de Verdun. Pour être sûr de l’anonymat, les bières sont plusieurs fois changées de place jusqu’au lendemain.
Le départ du Soldat Inconnu de la Citadelle Basse de Verdun le 10 novembre 1920
Le départ du Soldat Inconnu de la Citadelle Basse de Verdun le 10 novembre 1920
Le Soldat Auguste Thin et André Maginot à la Citadelle Basse de Verdun après le choix du Soldat Inconnu
Le Soldat Auguste Thin et André Maginot à la Citadelle Basse de Verdun après le choix du Soldat Inconnu
Le piquet d'honneur du 132e RI garde le cercueil du Soldat Inconnu à la Citadelle Basse de Verdun le 10 novembre 1920
Le piquet d'honneur du 132e RI garde le cercueil du Soldat Inconnu à la Citadelle Basse de Verdun le 10 novembre 1920
La foule est immense en ce 10 novembre 1920 devant l’entrée de la citadelle souterraine de Verdun. Il est 15 h quand André Maginot arrive à la Citadelle et tend un bouquet aux couleurs de la France au soldat Auguste Thin du 132e RI désigné la veille.
Les mots qu’il prononce solennellement résonnent sur les voûtes comme dans un tombeau : « Soldat, vous allez le déposer sur l’un des huit cercueils qui sera le Soldat Inconnu […]. C’est le suprême hommage, et qui n’est pas trop grand, lorsqu’il s’agit de celui dont le sacrifice anonyme et le courage surhumain ont sauvé la Patrie, le Droit et la Liberté ».
Auguste Thin a tout juste 20 ans et son régiment a été presque entièrement décimé. Dans son uniforme bleu horizon flambant neuf perçu pour la cérémonie, le Poilu n’en mène pas large. Il se saisit du bouquet et fait le tour des cercueils sous les yeux du ministre et des invités. Il ne sait où le déposer. Puis, se ressaisissant, il additionne les trois chiffres de son régiment, le 132e, et se souvient qu’il appartient au 6e Corps d’Armée. Auguste Thin dépose alors les fleurs sur le 6e cercueil et se met au garde à vous. Le Soldat inconnu est né.
Le corps, drapé de tricolore, est posé sur un affût de canon de 75. Avec son escorte militaire et son cortège, où sanglotent des veuves de guerre vêtues de noir, le cercueil est conduit à la gare de Verdun via la mairie de la ville, puis part pour Paris où il est veillé toute la nuit place Denfert-Rochereau.
Les sept autres cercueils prennent la direction du cimetière militaire du Faubourg-Pavé à Verdun où ils sont inhumés lors d’une cérémonie le 11 novembre. Ils y reposent encore.
Le 11 novembre le cercueil fait son entrée sous l’Arc de Triomphe mais n’y est pas encore inhumé… En effet, la bière est conservée plus de deux mois dans une salle du monument avant d’être déposée dans un caveau sous l’Arc de Triomphe le 28 janvier 1921 à 8 h du matin en présence des maréchaux de la Grande Guerre mais aussi des représentants de pays européens.
Sur un coussin de velours, déposé sur le cercueil, sont épinglées la Légion d’honneur, la Médaille militaire et la Croix de guerre.
La Flamme éternelle
Le Soldat Inconnu est inhumé mais la Flamme éternelle ne brûle pas encore sur la sépulture. L’idée est émise en 1921 par le sculpteur Grégoire Calvet et initiée par Augustin Beaud, président du Conseil général de Paris, élevé à Panossas en Isère dans le cimetière duquel se trouvait une chapelle où était allumée chaque année une petite lampe la veille de la Toussaint.
L’architecte Henri Favier a dessiné la bouche d’où sort la flamme : la gueule d’un canon entouré de 24 lames de glaive. La réalisation de cette pièce a été confiée au ferronnier Edgar Brandt.
Au départ, la flamme ne devait être allumée que le 11 novembre, mais deux journalistes, Gabriel Boissy et Jacques Péricard, anciens combattants de 14-18, proposent en octobre 1923 qu’elle soit ravivée tous les soirs.
La Flamme éternelle a été allumée pour la première fois le 11 novembre 1923 à 18 h par André Maginot. Depuis, elle est ravivée tous les jours à 18 h 30 sous la responsabilité du Comité de la Flamme ou d’une association. Le ravivage suit un protocole strict.
L’association « La Flamme sous l’Arc de Triomphe » fondée en 1925 veille sur ce symbole et le fait vivre.
Enfin, tous les ans depuis plus de trente ans, le Comité de la Voie Sacrée Nationale et de la Voie de la Liberté va prélever la Flamme Sacrée sous l’Arc de Triomphe. Elle est ramenée à Verdun le 1er novembre à la force des mollets des sportifs du ministère de l’Intérieur. Lors de la cérémonie, la Flamme est déposée dans la crypte du Monument à la Victoire. Elle sera ravivée tous les soirs jusqu’à la fin des cérémonies du 11 Novembre.
En France,
d’autres tombes
d’un soldat
inconnu
C’est à la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette dans le Pas-de-Calais où reposent 44.833 corps de soldats de la Première Guerre mondiale, que fut inhumé le 16 juillet 1950, dans la crypte de la chapelle, le soldat inconnu de la Seconde Guerre mondiale.
Les ministres Guy Mollet et le Meusien Louis Jacquinot, en charge des Anciens Combattants, y assistaient. Cinq ans plus tard, en 1955, dans cette même crypte furent déposées les cendres de déportés dans des camps nazis.
En octobre 1962, la tombe du soldat inconnu de la guerre d’Algérie fut inaugurée dans la crypte de la chapelle de Notre-Dame-de-Lorette et un corps y fut déposé en 1977 représentant les soldats morts durant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie.
Enfin, au même endroit, en 1980, repose le soldat inconnu de la guerre d’Indochine.
Depuis 1957, dans la base du Mémorial de la déportation au camp du Struthof repose, dans un caveau, le corps d’un « Déporté inconnu ».
Le Mémorial des martyrs de la Déportation, sur l’Île de la Cité, a été inauguré en 1962 par le général de Gaulle. Il accueille les cendres d’un « Déporté inconnu » venant du Camp du Struthof.
Les autres soldats
inconnus
dans le Monde
Dans le monde, 28 pays possèdent une tombe de soldat inconnu.
Le Royaume Uni a inhumé le sien en même temps que la France : le 11 novembre 1920 dans l’abbaye de Westminster.
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Textes : Frédéric Plancard
Photos : Alexandre MARCHI
Franck LALLEMAND
Frédéric MERCENIER
Montage : Service Support ERV