Intoxication, faux amis,
cueillette responsable...
TOUT SAVOIR SUR

Les champignons
de nos régions

L’homme a beau être ultra connecté, pressé, il y a des  activités populaires ancestrales qui ne changent pas. En automne, dans les prés et les sous-bois, on croise des passionnés partis en quête de champignons, protégeant leurs coins comme un secret.

Pratiquée par des amateurs avertis ou de simples promeneurs du dimanche, la cueillette des champignons est un rendez-vous à la fois mystérieux et magique avec la nature. Mais elle doit inciter à la plus grande prudence.

Cette activité bucolique présente deux dangers : la cueillette des champignons n’est pas systématiquement réglementée par arrêté préfectoral, ce qui implique qu’à un moment ou un autre, si les pouvoirs publics ne s’en préoccupent pas, ils viendront à manquer. En outre, les cueilleurs amateurs oublient trop souvent que certains d’entre eux sont toxiques.

Avant de les déguster, il est préférable de faire appel à un expert qui les examinera.

Les champignons,
maillons faibles
de la biodiversité ?

Les champignons sont les parents pauvres de la biodiversité. Aucune espèce ne bénéficie d’une réglementation permettant de la protéger. Jean-Paul Maurice, conseiller scientifique du patrimoine naturel du Grand Est et membre de la commission environnement de la Société mycologique de France, le déplore.

Quelle est la place des champignons dans la biodiversité ?

Les champignons sont les grands oubliés de la biodiversité. Le gros problème de la mycologie, c’est qu’il n’y a pas d’espèce qui bénéficie d’une réglementation permettant de la protéger. Donc on ne peut pas opposer des champignons à une construction, à une déviation de route ou encore à une tourbière perturbée, comme on peut le faire pour tous les autres objets de la naturalité.

Par conséquent, l’idée, c’est de passer par les habitats. Si on protège par exemple une pelouse calcaire, une mare forestière ou un bord de rivière, on va protéger en même temps les cortèges fongiques qui y sont présents.

Quelle est l’attitude des autorités face à ce problème ?

Les champignons ne sont pas encore en perdition mais les responsables environnementaux ne s’en occupent guère. Le logo qui annonçait en 2015 une conférence nationale à Strasbourg afin de construire la future agence française pour la biodiversité créée deux ans plus tard, a oublié les champignons sur un logo montrant les aspects de la naturalité (fleur, chauve-souris, oiseau…).

A l’époque, nous avons écrit à Barbara Pompili, alors secrétaire d’Etat chargée de la Biodiversité, qui nous a répondu gentiment qu’elle s’en occuperait un jour. Maintenant, qu’elle est ministre de la Transition écologique, on va peut-être relancer ça.

Où en est actuellement la lutte pour la préservation des champignons ?

Dans les années 2000, on était un petit collectif de mycologues français. Il y a eu une liste de 33 espèces du nord de la Scandinavie au sud de l’Espagne – dont 10 à 11 qui existaient en Lorraine – que nous avons essayé de faire passer à la Convention de Berne, première marche pour obtenir la protection. Mais nous n’avons pas réussi à obtenir la reconnaissance de ces espèces et depuis, cela n’a pas évolué.

En France, il existe des listes rouges d’espèces identifiées comme vulnérables ou rares validées par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), notamment en Franche-Comté et en Alsace, mais elles n’ont pas grand intérêt car elles ne permettent pas de les protéger et ne sont pas opposables à une destruction d’une tourbière ou d’une pelouse calcaire contrairement à une liste rouge en botanique.

Le changement climatique a t-il des répercussions sur le monde des champignons ?

L’automne dernier, François Le Tacon et moi-même avons publié un ouvrage, L’Odyssée des champignons  aux éditions Quae, où l’on parle de l’évolution de la climatologie en pointant quelques espèces phares comme l’amanite des Césars.

Avant la guerre de 1914-1918, nous avions deux ou trois stations en Lorraine où l’on pouvait trouver ce champignon et maintenant, nous en avons plus de 90. Comme c’est une espèce thermophile (qui aime la chaleur), elle rencontre des conditions favorables pour s’exprimer. En revanche, d’autres espèces peuvent disparaître avec le changement climatique. C’est normal.

Il faut savoir qu’il n’y a pas de forêt sans champignons parce que ces derniers assurent l’essentiel des besoins hydriques des essences mais aussi des besoins en minéraux, en phosphore, en phosphate, en oligo-éléments…Cela s’appelle la mycorhize (résultat de l’association entre des champignons et les racines de plantes).

Les champignons
comestibles
de nos régions

Une trentaine d’espèces de champignons sont consommées au maximum sur les quelque 4 500 répertoriées en Lorraine, selon Jean-Paul Maurice. Nous avons demandé à Albert Grobelny et Bernard Friderich, deux passionnés de mycologie, de nous indiquer sept champignons présentant un intérêt gustatif.

Le cèpe d’été

Boletus reticulatus

On peut le trouver à compter de juin sous des chênes, des hêtres, des épicéas ou encore des sapins. Ce champignon dont l’hyménium (partie fertile) est composé de tubes s’adapte à toutes sortes de sols (calcaire, terrain acide…).

Il peut devenir relativement gros, le chapeau dont la couleur peut varier du blanchâtre crème au brun foncé peut faire de 5 à 25 cm. Le pied est en principe assez épais, trapu, obèse, ou peut-être plus élancé. Il y a un réseau de mailles qui va du haut du pied en bas.

La girolle
ou chanterelle

Cantharellus cibarius

On peut la ramasser à partir de fin mai si les conditions sont bonnes et ce, jusqu’en septembre-octobre. Elle est de couleur jaune orangé ou presque jaune blanchâtre.

Elle pousse sous des feuillus mêlés (chênes, hêtres) ou sous des résineux et sur différents types de sol. C’est une espèce qui présente des plis, elle n’a pas de lame. Son odeur est fruitée, légèrement poivrée. Ce champignon a une odeur de bois humide.

La morille

Morchella esculenta

Son chapeau entre le brun très clair et le brun foncé présente des alvéoles profondes et irrégulières. Le champignon qui pousse en avril, début mai, apprécie les endroits caillouteux, les bords des chemins, les vergers, la proximité d’un arbre qui est le frêne, et les résineux (sapins).

Consommée crue, la morille est toxique : elle doit donc être mangée bien cuite, au moins un quart d’heure, vingt minutes. Son goût est très fin.

La trompette
de la mort

Craterellus cornucopioides

C’est un champignon en forme d’entonnoir, de couleur gris noirâtre, à marge du chapeau enroulée. Le pied est un tube creux qui est le prolongement du chapeau.

On le cueille normalement entre mi-septembre et octobre sous différents feuillus et plus rarement sous les conifères. Son odeur est assez agréable et sa saveur est assez forte.

Le pied de mouton

Hydnum repandum

Sous le chapeau, l’hyménium (la partie fertile) est formée d’aiguillons. Il est de couleur blanc crème à blanc jaune orangé. Le bord du chapeau est quasiment toujours enroulé. Le pied de consistance assez robuste est blanc.

Il pousse sous feuillus ou conifères, sur différents sols, du mois d’août jusqu’à octobre, voire décembre. Il peut résister aux premières gelées s’il est recouvert de feuilles. Son odeur est assez fruitée et sa saveur est douce à légèrement amère.

La russule
charbonnière

Russula cyanoxantha

On la trouve entre juin et fin octobre sous des feuillus mêlés ou des résineux. Souvent assez grasse au toucher, elle peut aller jusqu’à 10-12cm de large. Elle est assez déroutante de par sa couleur : c’est un champignon plutôt polychrome (mélange de violet, bleu, rose, vert dans sa forme typique).

Elle présente des lames lardacées (qui plient mais ne cassent pas). Sa chair blanche est relativement ferme en bouche, elle reste assez croquante. Sa saveur est douce, et elle ne dégage pas d’odeur.

Le chou-fleur
ou sparassis crépu

Sparassis crispa

A l’état jeune, c’est un champignon intéressant. De couleur blanchâtre, il pousse au pied de conifères morts ou vivants (principalement des pins) à l’automne et ressemble à une éponge. Il peut peser jusqu’à 3 kilos.

A noter : un autre bon champignon comestible qui fait partie de la même famille, le sparassis lamelleux (sparassis brevipes), se récolte à la même saison dans les forêts de feuillus (chênes et hêtres).

Les faux amis,
un risque d’intoxication

« Dans la majorité des cas, les champignons comestibles ont des sosies qui sont toxiques », prévient Albert Grobelny, membre de la Société lorraine de mycologie (SLM).

Exemple : la girolle. « Un champignon très toxique, le clitocybe illusoire (omphalotus illudens), qui lui ressemble, pousse en touffe autour des souches de feuillus (chênes) dans nos régions. Le chapeau fait 10-15cm de large mais, quand il est jeune, il est petit et a la même couleur que la girolle. Il présente des lames et non des plis.

La girolle peut aussi être confondue avec le cortinaire couleur de rocou, mortel, qui pousse sous les feuillus. Ce champignon brun orangé en surface possède des lames et un pied jaunâtre.

Ne confondez pas la girolle avec le clitocybe illusoire (omphalotus illudens) champignon très toxique

Ne confondez pas la girolle avec le clitocybe illusoire (omphalotus illudens) champignon très toxique

La girolle (cantharellus cibarius)

La girolle (cantharellus cibarius)

Le cortinaire couleur de rocou (cortinarius orellanus)

Le cortinaire couleur de rocou (cortinarius orellanus)

Gare aussi à certains cèpes, comme le bolet des sapins, qui n’est pas bon à consommer alors que son odeur est agréable, ou le bolet à beau pied. Et parmi les russules, beaucoup ont des couleurs bleu verdâtre comme la russule charbonnière, mais ne sont pas comestibles car elles ont une saveur piquante ou peuvent être amères.

Le bolet à beau pied (caloboletus calopus)

Le bolet à beau pied (caloboletus calopus)

Un autre risque de confusion « assez classique » peut concerner l’entolome livide, champignon très toxique, qui ressemble au clitocybe nébuleux, observe Bernard Friderich.

L’entolome livide (entoloma sinuatum)

L’entolome livide (entoloma sinuatum)

Le clitocybe nébuleux (clitocybe nebularis)

Le clitocybe nébuleux (clitocybe nebularis)

Autre faux ami : se méfier de la gyromitre, champignon toxique pouvant être mortel, qui ressemble à la morille et peut pousser en même temps.

La morille (morchella esculenta)

La morille (morchella esculenta)

La gyromitre (gyromitra esculenta)

La gyromitre (gyromitra esculenta)

Pour les cueilleurs du dimanche, en plus du fait de faire attention à la toxicité des champignons, plusieurs règles sont à observer à commencer par celle de « savoir si vous allez mettre les pieds dans une forêt domaniale, communale ou privée, car dans ce dernier cas, il y a violation de domicile », précise Albert Grobelny.

« La deuxième règle, c’est de connaître la réglementation sur les quantités à ramasser. En forêt publique, selon l’article R163-5 du Code forestier, l’autorisation est présumée lorsque le volume prélevé n’excède pas 5 litres ». Ensuite, ajoute le spécialiste, il faut « savoir si une chasse se prépare ou est en cours, être respectueux de l’environnement et éviter de crier car il y a du gibier  ».

Au moindre doute,
abstenez-vous !  

Quant à la cueillette proprement dite, Albert Grobelny recommande en premier lieu de « ramasser la totalité du champignon en y allant doucement. Car, pour une détermination sûre et fiable, il faut l’intégralité du spécimen. » Précision importante : « On ne cueille pas les petits exemplaires et on laisse les plus gros en place pour la reproduction. »

Il faut aussi se munir d’un panier en osier, « éviter de mélanger les champignons en les cloisonnant. Et, point fondamental quand on ne connaît pas, partir du principe qu’internet ou un livre ne suffisent pas, il faut se rapprocher d’une société mycologique ou d’un pharmacien. Dans le doute, on s’abstient. » Une fois que « l’on est sûr de sa récolte, il faut la nettoyer aussitôt et consommer les champignons rapidement » en quantité raisonnable, « ou bien les congeler ou encore les faire sécher  ».

Centre antipoison et de toxicovigilance
CHU de Nancy
Tél. 03 83 22 50 50
SLM : societelorrainedemycologie.wifeo.com
Tél. 03 72 74 72 16

Les intoxications
ne sont pas si rares
qu’on le croit  

Consommer des champignons sans les avoir au préalable identifiés peut parfois conduire à des intoxications. L’an dernier, pas moins de 381 cas ont été enregistrés dans le Grand Est, avec un pic de 217 cas en octobre, période propice à la cueillette.

Le centre antipoison (CAP) Est,  est basé au CHRU de Nancy. Il ne recense quasi exclusivement que les cas pour lesquels il a été sollicité. Sur l’ensemble de ces cas, 55 ont été dénombrés en 2019 en Moselle, avec là encore un pic de 39 cas au cours du dixième mois de l’année.

Toujours selon le centre antipoison de Nancy, l’année passée a ainsi été marquée par une hausse des cas d’intoxication connus du centre antipoison par rapport aux quatre années précédentes. Le total des cas dans le Grand Est s’établissait en effet à 191 en 2015, 139 en 2016, 289 en 2017 et 104 en 2018. Du côté de la Moselle, ce total s’élevait à 25 en 2015, 21 en 2016, 52 en 2017 et 11 en 2018.

En termes de gravité, il est à noter qu’aucun cas de décès n’est survenu dans le Grand Est durant la période 2015-2019. Mais l’an dernier, plus d’un tiers des personnes (136) qui ont sollicité le centre antipoison Est ont été orientées vers un hôpital dans la région, un nombre qui s’est établi en Moselle à 28, soit la moitié des cas pour lesquels le CAP a été sollicité dans le département.

Les pharmaciens
peuvent guider
les cueilleurs

Il n’est pas rare que les cueilleurs se présentent en pharmacie avec leur panier. Le monde des champignons est complexe. Une formation théorique ne saurait suffire à éviter les drames. Les pharmaciens ont besoin d’aller sur le terrain pour parfaire leurs connaissances.

Interview de Marie-Paule Sauder, présidente de la Société lorraine de mycologie et maitre de conférences en botanique et mycologie à la faculté de pharmacie de l'université de Lorraine à Vandoeuvre-lès-Nancy.

Comment qualifieriez-vous le monde des champignons ?

C’est un monde très complexe car, et je ne parle que des « gros champignons » trouvés dans les forêts, il faut les connaître pour savoir s’ils sont bons ou pas. Ce n’est pas parce qu’un champignon est rouge qu’il n’est pas bon ou qu’il est vert et qu’il a poussé dans votre jardin qu’il est bon. Il n’y a pas de règles.

On apprend à reconnaître les champignons avec des connaissances, de l’expérience et de la patience. Il faut bien sûr avoir les bases, être membre d’une société de mycologie, apprendre dans les livres, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi de la pratique sur le terrain, savoir où on les trouve (dans quelle forêt, dans quel milieu), bien regarder tous les critères morphologiques de détermination, voir si ce sont des exemplaires jeunes ou âgés.

Tout cela permet de mettre un nom sur les champignons, en tout cas les plus communs. On peut ensuite trouver s’ils sont consommables ou pas. Les champignons n’ont pas de chlorophylle et ne font donc pas de photosynthèse comme la très grande majorité des plantes. De plus, ils ne sont pas mobiles contrairement aux animaux. C’est donc un groupe totalement à part des plantes et des animaux bien que parfois certains les intègrent encore au monde des végétaux.

Quelle est la formation des pharmaciens vers lesquels il est conseillé de se tourner en cas de doute sur des champignons ?

Enseignante depuis 1997, j’ai réussi à faire inscrire depuis une dizaine d’années dans le cursus des étudiants en pharmacie de Nancy un enseignement théorique et pratique de mycologie de la deuxième année à la sixième année. Notre faculté est la seule en France à dispenser un tel enseignement. Après, c’est aux pharmaciens de maintenir ces connaissances acquises en faisant au moins une exposition et/ou une sortie sur le terrain par an. Je pense que maintenant, en Lorraine, on peut facilement trouver des pharmaciens qui sont compétents.

Et s’il n’y a pas de pharmacien autour de chez soi ?

En Lorraine, il existe deux associations : la Société lorraine de mycologie (SLM) qui a une permanence à la faculté de pharmacie tous les lundis de 17h à 19h30. Le grand public peut y venir avec ses paniers de champignons pour les faire déterminer et également aller à des expositions organisées par la SLM. Il y a aussi l’Amyphar (Association des mycologues pharmaciens) qui permet aux pharmaciens de maintenir leurs connaissances.

Nous sommes complémentaires. Et si personne ne peut déterminer les champignons issus d’une récolte, il faut les jeter. Les années où il y a des champignons, il faut quand même savoir qu’il y a entre un et cinq morts en France suite à la consommation de champignons mortels.

Y a-t-il d’autres possibilités d’en apprendre plus sur les champignons ?

De début novembre à avril, la SLM organise un cours public de mycologie, gratuit et ouvert à tous, tous les mercredis soirs de 18h30 à 20h dans l’amphithéâtre 400 du campus Brabois-Santé. Ce cours, libre d’entrée et sans inscription, se déroule sur deux ans au cours desquels sont passés en revue tous les genres et toutes les familles de champignon.

Il existe aussi un diplôme universitaire à l’université de Lorraine, le DU de Mycologie pratique et officinale. Limité à dix personnes, cet enseignement dont je suis responsable et qui ne sera pas ouvert cette année en raison des restrictions sanitaires liées à la Covid-19, commence en septembre et dure jusqu’en octobre de l’année suivante. Pour l’obtenir, il faut savoir reconnaître une soixantaine de champignons avec le nom latin et la toxicité, savoir commenter un panier de champignons et avoir de bonnes connaissances théoriques.

Quand les applications
mobiles cueillent
des champignons toxiques

Le champignon que je viens de cueillir est-il comestible ? Les applis de reconnaissance ne sont pas suffisamment fiables pour répondre à cette question en toute sécurité, met en garde l’agence sanitaire Anses qui rapporte des cas d’intoxication « favorisés » par ces services sur smartphone.

Cette année en effet,  un nouveau risque est apparu sur les radars des experts sanitaires : les applications sur smartphones destinées à identifier l’espèce de champignon grâce à une photo. Le phénomène est pour l’instant trop récent pour en connaître l’ampleur précise. Mais il existe au moins « quelque cas » parmi les intoxications rapportées l’an dernier où « la confusion entre espèces était favorisée par l’utilisation d’applications de reconnaissance de champignons sur smartphone, qui avaient donné des identifications erronées sur les champignons cueillis », s’inquiète l’Anses. Elle recommande donc clairement de « ne pas consommer de champignon identifié » par ces applis, « en raison du risque élevé d’erreur ».

Les coins
à champignons :
un secret bien gardé
et un commerce juteux

En Lorraine, « où l’on bénéficie des variations du sol (du calcaire au granit en passant par le grès…) et d’essences variées, la pousse des champignons est favorisée. La Franche-Comté est elle aussi une terre de champignons.  Entre les sols calcaires et basiques de l’arc jurassien et les grès plus acides des Vosges,  c’est un petit paradis mycologique.

« On y trouve 80 à 90 % des grandes espèces comestibles » explique le mycologue Jean-Marc Moingeon, pharmacien à Goux-les-Usiers, dans le Haut-Doubs « mais aussi les toxiques mortels » n’omet-il pas d’ajouter. Mais, c’est bien connu, les coins à champignons sont protégés comme des secrets. Rares sont les cueilleurs qui vous feront des révélations. Ce qu’ils aiment partager en revanche, c’est leur passion. Une passion pour certains, pour d’autres une occasion immanquable de se faire de l’argent. Dans nos régions les champignons ne sont pas toujours cueillis pour le plaisir. Ils font aussi l’objet d’un petit trafic lucratif.

Le Haut-doubs :
royaume de la morille

Il suffit de parcourir le Haut-Doubs pour comprendre qu’elle est la reine des forêts Comtoise. Oui ces grosses pièces de bois sculptées marquant l’entrée de nombreuses maisons, représentent bien une morille. Ici l’on s’affiche « morilleur », à condition toutefois d’entrer dans le club plutôt select de ceux qui en ramassent plusieurs centaines, voire milliers par saison.

Plus qu’une passion c’est une religion et les carnets d’un morilleur bisontin exposés au musée Comtois de la Citadelle de Besançon indiquent bien toute la dévotion vouée à morchella elata (la brune) ou esculenta (la blonde), star également de la littérature régionale. A l’exception de quelques forcenés d’openstreetmap et du data en libre accès, pas question de révéler ses coins. Rédigés dans un langage codé, ces petits carnets sont aussi précieux qu’une carte au trésor.

Alors bonne chance au printemps, si la bise ne souffle pas trop, dès la fonte des neiges la cueillette est ouverte. Mais quitte à revenir bredouille après une belle balade dans les bois de résineux de l’arc jurassien, le cueilleur malchanceux soignera son dépit attablé devant une généreuse croûte aux morilles, l’une des plus fameuses spécialités comtoises.

La forêt de la Reine
dans le Toulois :
une affaire de pro

Patrick Latasse est un traqueur de champignons. Un vrai pro qui a pour aire de jeux la forêt de la reine et ses 1.200 hectares pour la partie située dans le Nord toulois, près de Sanzey, le village où il vit. Un espace boisé humide, car truffé d’étangs, qui recèle de « bons coins » à champignons… A condition de les connaître.

Patrick Latasse arpente ces bois depuis ses 10 ans dans les pas de son père et désormais en solo, à 72 ans. A force d’évoquer les lieux où il se rend, son fils quinqua est aussi dans la confidence de ses bons plans. Bons plans dépendants de la météo. « Après une semaine de pluie, les cèpes poussent, puis les pieds de mouton et les trompettes-de-la-mort ». Ces derniers, il ne les ramasse jamais, car il ne les aime pas. Le cueilleur a aussi un principe : ramasser uniquement les variétés qu’il connaît. « Je ne veux pas mourir ! », clame-t-il.

La forêt de la Reine donne à peu près tous les champignons qui existent : Avriots, girolles, cèpes, pieds de mouton… « Mais attention, les champignons ne poussent pas partout », prévient l’expert. « Le cèpe, par exemple, ne grandit pas toujours au même endroit. » Du coup, pas de routine pour le Toulois qui trouve toujours de nouveaux coins même après toutes ces années.

La Haute-Saône :
cible d’une filière
de ramassage illégal

En octobre 2019, les forêts de Haute-Saône ont été la cible d’une filière de ramassage illégal provoquant certaines tensions, notamment à Fougerolles où un groupe de ressortissants roumains, parmi lesquels des enfants, avait planté leurs  tentes. Plusieurs jours durant, ils ont effectué une razzia sur les champignons, principalement les cèpes qui se revendent très bien.  

Le phénomène de prélèvement excessif a été tel qu’en quelques jours, les gendarmes, aidés par les agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, ont procédé à une quinzaine d’interpellations dans l’est du département. Lundi 21 octobre 2019, quatre hommes âgés de 26 à 40 ans ont été arrêtés à Fougerolles et placés en garde à vue ; 24 kilos de champignons ont été saisis à cette occasion.

Deux jours plus tard, les gendarmes de Luxeuil-les-Bains ont surpris un groupe de cueilleurs « avec un carnet et 900 € en liquide ». Le  lendemain et le surlendemain, c’était au tour des militaires de Saint-Loup-sur-Semouse de procéder à deux vagues d’interpellations. Ils ont mis la main sur 266 kilos de cèpes alors qu’en Haute-Saône, le code forestier limite la cueillette à cinq litres par personne et par jour. Au total, près de 400 kilos de champignons ont été saisis, avant d’être remis à des associations caritatives.

Evoquant un enjeu économique, de salubrité publique et d’ordre public qui a conduit « à l’ouverture d’une enquête sur une filière impliquant des personnes dans une très grande précarité, quasiment exploitées, et les organisateurs de cette misère », le procureur de la République de Vesoul, Emmanuel Dupic, a prévenu : « Les cueilleurs qui ne respecteront pas les règles seront systématiquement poursuivis. »

Textes : Cécile ROUX
Fred JIMENEZ - Sylvain MICHEL
Stéphanie MANSUY

Photos : Patricia LOUIS
Albert GROBELNY - Bernard FRIDERICH

Montage : Service support ERV